Politique de la ville : le danger de la réforme Lamy

J’ai écrit lundi dernier au Ministre de la Ville, François Lamy, un courrier dans lequel je lui ai fait part de mes craintes suite à ses récentes déclarations quant à une possible réforme de la politique de la ville. Vous trouverez ci-après l’intégralité de la tribune qui en résulte.

« Politique de la ville : le danger de la réforme Lamy »

Par Frédéric Leturque,

Maire d’Arras
Vice-Président de la Communauté Urbaine d’Arras en charge du développement social et solidaire et du logement social

Le Ministre de la Ville, François Lamy, a présenté mercredi (NdFL : 22 août) en Conseil des Ministres les grandes lignes d’une réforme de la politique de la ville et a confirmé la mise en place, au premier semestre 2013, d’une nouvelle géographie prioritaire ciblant, selon lui, « les quartiers les plus en difficulté ».

L’objectif affiché serait d’en finir avec le « saupoudrage » dans de multiples zones prioritaires, de simplifier les zonages, et de concentrer les interventions publiques sur les territoires qui en auraient le plus besoin.

 Le Ministre a annoncé « qu’une phase de concertation nationale réunissant tous les acteurs » se tiendrait d’octobre à décembre et donnerait naissance à un projet de loi redéfinissant les contours de la nouvelle géographie prioritaire.

Je m’interroge profondément sur les conditions de mise en œuvre de cette phase de concertation, notamment au regard des délais indiqués, et sur la façon dont elle va être menée : avec quels acteurs ? à quelle échelle ? avec quelle méthode ?

Le redécoupage de la géographie prioritaire est un sujet politiquement sensible et aux conséquences humaines très importantes. Il ne doit pas être traité uniquement à l’aune de critères politiciens ou d’enjeux électoraux à venir. Les habitants de toutes les communes de France méritent respect et considération.

Il est indispensable que les villes moyennes telles qu’Arras puissent faire entendre leur voix dans le cadre de cette phase déterminante de discussion et d’échange. Bon nombre d’entre elles vivent au quotidien l’accentuation de la pauvreté, la hausse du chômage, la crise du logement… Ces communes ne peuvent être occultées, c’est une question de justice sociale.

C’est la raison pour laquelle je me suis toujours impliqué dans les dispositifs ouverts par l’Europe, l’Etat, la région et les départements qui visent à réduire les inégalités entre nos concitoyens.

Arras a lancé en 2010 une Analyse des Besoins Sociaux (ABS), analyse qui a permis de confirmer ou de révéler certaines difficultés sociales et économiques lourdes.

Plusieurs indicateurs ont par exemple mis en évidence des écarts importants entre les différents quartiers de la ville, tant en termes de variation de population (désertification de certaines zones en difficulté) que de revenu médian mensuel (avec un écart qui varie de 556€ à 2078€ par habitant). La précarité financière se développe rapidement (Arras connaît une forte augmentation du nombre d’allocataires du RSA au cours des 6 derniers mois), et le nombre de demandeurs d’emploi progresse (4141 chômeurs recensés à fin juin 2012, pour une population d’un peu plus de 42.000 habitants).

Conséquences pernicieuses de ces difficultés sur nos enfants et sur leur devenir : le taux de retard scolaire évolue défavorablement depuis 2010, et le niveau scolaire global se détériore à tous les degrés (écoles élémentaires, écoles primaires, collèges et lycées).

Au regard de cette analyse, nous avons redéfini les contours de notre projet de développement social, fixant nos priorités : la lutte contre l’isolement et toutes les formes de solitude, la réussite éducative. Ce travail a aussi permis d’engager une réécriture des objectifs opérationnels quantifiables et mesurables, en y intégrant, en concertation, la participation financière de l’Etat (politique de la ville, fonds interministériel de prévention de la délinquance…) ainsi que les financements de droit commun.

Arras n’est certainement pas la seule ville en France à être confrontée à de telles réalités humaines, économiques et sociales. Pour cette raison, j’affirme qu’il existe un vrai danger à vouloir redéfinir dans l’urgence la géographie prioritaire et l’affectation des crédits y afférant.

Tout comme il me paraît indispensable de mener jusqu’à son terme le Programme National de Rénovation Urbaine (PNRU) qui n’est aujourd’hui qu’à la moitié de sa réalisation.

S’il est vrai que des économies et des efforts doivent aujourd’hui être réalisés, ils ne doivent pas l’être sur le dos d’habitants qui vivent dans nos villes moyennes et rencontrent des difficultés aussi lourdes qu’à Paris, Lille, Lyon ou Marseille… D’autres pistes existent certainement, que le Gouvernement et le Président de la République se doivent de creuser et d’analyser, afin de ne pas organiser l’abandon de certains quartiers et de faire naître un sentiment de discrimination et de désespoir chez une partie de nos concitoyens.

L’Etat ne peut seul avoir une vision fine, réaliste et juste des difficultés de chaque territoire. La notion de justice implique, à mon sens, un mode de concertation différent, que l’on pourrait imaginer entre le Préfet et les élus locaux.

Nous ne méconnaissons pas le contexte financier et économique du pays qui nous oblige à toujours plus de responsabilité et de pertinence dans les décisions politiques.

Ces décisions, particulièrement en temps de crise, doivent plus que jamais être guidées par les principes fondamentaux de notre République. C’est ensemble que nous devons porter la Liberté, l’Egalité et la Fraternité de nos communes et de tous les citoyens.

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